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Restaurer le transport solide

Des sédiments dans la rivière

En fonctionnement naturel, une rivière présente dans son lit des sédiments de différentes tailles : blocs rocheux, galets, graviers et sables. Ces sédiments sont issus du travail d’érosion des versants qu’effectue le climat depuis plusieurs milliers d’années. Les sédiments se déplacent dans la rivière, de l’amont vers l’aval, au rythme des variations du débit. Nous les retrouvons, en bout de course, sur les plages sous forme de sable.

Les sédiments sont une pièce clé du fonctionnement physique et biologique de la rivière. Leur rôle est souvent oublié, à tort.

En réponse aux variations du débit, la rivière fait continuellement bouger ses sédiments (cycles d’arrivées et de départs). De cette façon, elle maintient un équilibre dynamique entre débit liquide et débit solide.

Ainsi, le lit d’une rivière n’est jamais figé. Il continue d’évoluer par l’énergie de l’eau compensée par le mouvement des sédiments. En conséquence, la rivière présente des sections de formes différentes, selon la pente, la profondeur, et la symétrie du lit. Cette diversité de formes conduit à une diversité d’écoulements le long de la rivière à un instant donné. Les écoulements sont plus rapides là où le lit est peu profond, symétrique et pentu, et ils sont plus lents là où le lit est profond, peu pentu. Cette alternance de faciès d’écoulement influe positivement sur le niveau de biodiversité dans la rivière.

Extrait du film "Redonnons libre-cours à nos rivières" - Agence de l'eau RMC
  • Lit de type torrent sur la Riberole
  • Blocs rocheux et galets dans le lit de la Lentilla
  • Galets dans le lit de la Têt au niveau d'Olette
  • Galets et sables. La Têt à hauteur de Villelongue de la Salanque
  • Sables à l'embouchure de la Têt à Canet-en-Roussillon

Le matelas alluvial :
qu’est-ce que c’est ? à quoi sert-il ?

Le matelas alluvial est une couche de matériaux de tailles différentes (rochers, galets, granulats, sables) qui tapisse le fond du lit de la rivière. En un point donné, l’épaisseur et la composition de ce matelas varient avec les débits. L’eau déplace les matériaux à l’aval et en apport de nouveaux depuis l’amont. Ce phénomène de transport est permanent et synonyme d’un cours d’eau en bon état.

Quels rôles pour ce matelas ?

Les matériaux, par leur mise en mouvement, absorbent l’énergie des écoulements. Le matelas alluvial agit donc comme une protection vis-à-vis des argiles tendres sous-jacentes. Il protège le lit de l’incision.

Les matériaux forment des lieux de stockage de matière organique pour l’alimentation, des zones de reproduction et de refuge. Sans matelas alluvial, le milieu est stérile au développement de la vie aquatique.

Aspect du fond du lit. Avec et sans matelas alluvial

Extrait du film "Redonnons libre-cours à nos rivières"

Les cours d’eau sous pression humaine

Depuis des siècles, l’homme interagit avec la rivière. Elle lui sert à développer l’agriculture et les villes, produire de l’énergie. Ces dix dernières décennies, l’homme a aussi chercher à maîtriser les « humeurs » des rivières les plus actives comme la Têt, le Cady, le Boulès, etc., pour se protéger des crues.

L’intervention répétée de l’homme sur la rivière - création de barrages, prélèvement de sédiments pour les besoins de construction, installation de seuils (ouvrages en travers du lit) pour différents usages (transport, irrigation), bétonnage des berges, rectification du tracé, …- est venue déséquilibrer le rapport débits liquides / débits solides ce qui a transformé les écoulements et donc la forme du cours d'eau. On parle d’hydromorphologie perturbée.

Lit artificialisé du Cady à Vernet-les-Bains

Cette modification physique du cours d’eau peut avoir des répercussions importantes sur le fonctionnement écologique du milieu aquatique : les habitats sont moins nombreux, de moins bonne qualité, moins diversifiés. En conséquence, moins d'espèces viennent y réaliser leur cycle de vie.

Mais pas seulement ! Les effets se ressentent également sur les services rendus à l’homme par la rivière. Selon les cas, les territoires sont confrontés à :

  • L'abaissement du niveau des nappes d'accompagnement et donc la perte de réserves en eau souterraine (assèchement des forages superficiels) par un déséquilibre des échanges d'eau entre nappes et rivière
  • Une dégradation de la qualité de l'eau avec des impacts sur les usages (eau potable, baignade, etc.). L'appauvrissement du "système rivière" entraine une perte de sa capacité à "absorber" une pollution (rejet d'eaux usées par exemple).
  • Le développement d'espèces végétales et animales invasives, venant destabiliser certaines activités économiques et de loisir, par la banalisation des habitats et l'élévation générale de la température de l’eau, faute d'alternance de fasciès et de l'absence de végétation étagée en bon état sur les berges
  • Des dégats potentiellement plus importants en cas de crue par l'accélération locale des écoulements, et donc augmentation de leur puissance, par simplification du tracé de la rivière (style rectiligne s'opposant à un style en tresse ou méandré)
  • etc.

Qu'en est-il sur le bassin versant de la Têt ?

En amont du barrage de Vinça, la Têt et ses affluents sont globalement en bon état hydromorphologique. Les perturbations sont ponctuelles : processus d’érosion localisés, ouvrages transversaux partiellement bloquants pour les sédiments, présence d’aménagements dans le lit (recalibrage, protections latérales) mais globalement peu impactants.

Le déséquilibre hydromorphologique le plus important est observé en aval du barrage de Vinça, sur la Têt entre Saint Feliu d’Avall et le pont de l’autoroute A9, soit sur 11 km de linéaire.

On observe le fleuve s’écouler directement sur l’argile, tendre et friable, autrefois recouverte par les matériaux (sables, graviers, galets) qui composent naturellement le fond des cours d'eau de plaine. Le fleuve a perdu son "matelas alluvial" et présente désormais un faciès homogène et peu fonctionnel en matière de diversité d'écoulements, d'épuration naturelle de l'eau, de biodiversité. Sans oublier bien sûr, l'aspect paysager fortement impacté avec un lit décapé, stérile.

  • Passage à gué de Baho avant la crue de novembre 2014
  • Passage à gué de Baho après la crue de novembre 2014
  • Argiles autrefois couvertes par les matériaux
  • Lit de la Têt incisé
Le lit de la Têt au Soler. La photographie prise en hauteur montre que la Têt est chenalisée et coule directement sur les argiles

Au delà des impacts directs sur la forme de la rivière et son écologie, ce sont les services qui sont rendus par la rivière lorsqu'elle est en bon état (cf. ci-dessus) qui sont menacés par l'incision.

Dans le cas de l'altération de la Têt en aval du barrage de Vinça, deux autres menaces s'ajoutent :

  • Une diminution de la résistance physique des berges avec un risque d'affaissement et par là-même la déstabilisation potentielle de digues, ponts, passages à gué
  • La déconnexion des prises d’eau des canaux, qui peuvent se retrouver perchés par rapport à l'abaissement de la ligne d'eau

D'où vient le déséquilibre ?

L’altération de la Têt en aval de Vinça résulte principalement de l’extraction massive de matériaux dans le lit du fleuve au XXème siècle. Entre 1978 et 2003, plus de 3 millions de tonnes de matériaux ont été exportés, dont environ 1 million dans les années 90 pour la construction de la RN116.

Aujourd’hui, même si l’extraction dans le lit de la rivière est interdite, d’autres éléments s’ajoutent au déficit hérité contraignant un retour à l’équilibre :

L'effet écrêteur du barrage de Vinça

Construit entre 1974 et 1978 dans l’objectif premier de protéger contre les inondations, le barrage atténue les petites crues qui, sans présenter de risque,  pourraient déplacer les matériaux et ainsi faire évoluer la morphologie du lit.

La diminution des apports solides

Depuis quelques décennies, l’érosion des versants est moindre (aménagements RTM, politique de reboisement, évolution du climat etc.). Autrement dit, la fourniture en matériaux se réduit.

La présence d'obstacles aux écoulements

24 ouvrages (seuils, passage à gué, radier de pont) sont installés en travers du lit de la Têt entre le barrage de Vinça et la mer. L'effet de ces seuils sur le transport solide est plus ou moins fort et transitoire (tant que l'ouvrage n'est pas comblé par les matériaux). Cet effet se matérialise par un abaissement progressif du fond du lit en aval de l'ouvrage. A l'amont, la ligne d'eau étant relevée par l'ouvrage les vitesses sont ralenties et les matériaux se déposent relevant la hauteur du fond du lit. La présence successive d'obstacles se ressent sur le profil en long de la Têt qui adopte un tracé "en marche d'escalier".

La réduction de l'espace de liberté par les ouvrages latéraux

La RN116, les ouvrages de protection de berge contre les inondations (digues) déconnectent la rivière de ses zones de fourniture en matériaux, limitant sa recharge en sédiments. Ces ouvrages imposent une direction aux écoulements et restreignent les possibilités de divagation et d’expansion latérales. Enfin, leur manque de rugosité favorise une accélération des vitesses d’écoulement et donc du transit des matériaux vers l’aval. Afin de compenser ces contraintes, la rivière creuse son lit à la recherche de matériaux.

L'entretien non différencié des atterrissements

Ces bancs composés de matériaux apportés par l’eau se forment de manière naturelle dans le lit. Lorsque la rivière est en « bonne santé » ces bancs sont mobiles et se déplacent progressivement vers l’aval au fil des crues. En revanche, lorsque la rivière n’a plus une dynamique suffisante pour transporter les matériaux (débits limités pour causes naturelles ou liées à l’action de l’homme), ces bancs finissent par se végétaliser et se fixer. Depuis 30 ans, l’entretien de la végétation des bancs ne considère que l’enjeu hydraulique (risque de création d’embâcle en cas de crue) et néglige le rôle de cette végétation dans le fonctionnement hydromorphologique de la rivière. L’approche de la gestion de la végétation associée à la rivière doit donc évoluer pour être plus globale et intégratrice des deux types d’enjeux.

Les argiles du fond du lit

L’argile apparente sur certains tronçons, lisse et glissante, agit comme un toboggan pour les matériaux et empêche la reconstitution de ce "matelas".

Que faire ?

L’objectif est de revenir à une situation d’équilibre pour la rivière. Autrement dit, il s’agit de contrer le phénomène d’incision de la rivière, revenir à une pente du lit qui permette de reconstituer une couche de sédiments (matelas) qui soit pérenne (départs de sédiments compensés par de nouvelles arrivées).

Restaurer l’hydromorphologie est un travail complexe car cela revient à intervenir sur un système en mouvement permanent.

Pour y parvenir, il s’agit de bien comprendre le fonctionnement dynamique de la rivière, pour s’assurer que la réponse de la rivière est bien celle recherchée. Des études sur l’hydrologie, le transport sédimentaire, la composition et l’occupation des berges etc. sont nécessaires avant toute action dans le lit de la rivière.

Il s’agit également d’intervenir de façon adaptée sur la végétation des atterrissements et des berges pour pouvoir redonner de la mobilité à des sédiments là où elle peut être bénéfique à la reconstitution d’un matelas sédimentaire..

Atterrissements sur la Têt aval après entretien différencié sans dessouchage © Mangeot

Dans le cadre du contrat de rivière, le SMBVT réalise en 2019 les études pour savoir comment restaurer le secteur de la Têt qui est incisé. Le Syndicat prévoit d'approfondir ces études sur une zone plus restreinte pour mener un chantier pilote de restauration.

Autre action en faveur du transport solide, le Conseil Départemental mène depuis 2016 un programme annuel de réinjection de matériaux sur 6 points en rivière entre Rodes et Ille-sur-Têt. Cette action est réalisée pour contrebalancer l'effet du barrage sur le transit sédimentaire, ouvrage qui est propriété du Conseil départemental.

Pour en savoir plus sur ces deux projets, rendez-vous à la rubrique "les actions en faveur des milieux aquatiques".